Bérenger Aubanel, un manadier 2.0

Il est l’un de ces personnages bien connus du monde de la bouvine. Qui n’a jamais aperçu cet homme à cheval portant un chapeau aux larges bords, supervisant les actions de ses cavaliers meneurs d’abrivado ? Fils aîné de l’emblématique Pierre Aubanel, nommé affectueusement « Pierrot » par les afeciounas, Bérenger Aubanel porte aujourd’hui, aux côtés de son frère Réginald, les bâtisses de deux élevages, et non des moindres.

Bérenger Aubanel un manadier nouvelle génération

BÉRENGER AUBANEL, UN MANADIER 2.0

L’informatique au service des traditions

Il est l’un de ces personnages bien connus du monde de la bouvine. Qui n’a jamais aperçu cet homme à cheval portant un chapeau aux larges bords, supervisant les actions de ses cavaliers meneurs d’abrivado ? Fils aîné de l’emblématique Pierre Aubanel, nommé affectueusement « Pierrot » par les afeciounas, Bérenger Aubanel porte aujourd’hui, aux côtés de son frère Réginald, les bâtisses de deux élevages, et non des moindres. À la tête des manades Aubanel Baroncelli Santenco tout d’abord, puis de celle de son père, peu de gens connaissent sa véritable vie professionnelle. Nous sommes allés à la rencontre, en parallèle du manadier au management cadré, du Directeur des Systèmes d’Informations du Groupe international « RG ».

Destination informatique

Issu d’une famille de statuts très différents mais pour autant très cultivés, avec des médecins du côté maternel, Bérenger est rapidement voué à faire de grandes études, dans l’économie ou les lettres, mais s’oriente finalement dans le domaine agricole où il apprend la mécanique lourde. Puis, soutenu par son père qui l’incite à se créer un bagage professionnel, il effectue un BTS en informatique de gestion, juste après le baccalauréat. En parallèle, bien évidemment, les taureaux et les chevaux ont déjà une place entière « j’ai toujours été tenté de travailler dans les taureaux. On est nés dedans avec mon frère » raconte-t-il.

Dans les tourments d’une séparation familiale peu évidente, le jeune Bérenger a des difficultés à côtoyer les taureaux de son père et de son grand-père. Le BTS lui ouvre des portes et il entre alors à la caisse régionale du Crédit Agricole où une belle carrière possible s’ouvre alors à lui. Pour autant, dans son esprit, aucun lien évident ne se fait avec la bouvine qu’il aime tant…

Un poste officiel au sein de la banque lui est proposé mais, alors que les fêtes votives battent leur plein, il le refuse et se relance dans des études « j’étais intéressé par les taureaux, je ne cessais de monter à cheval et d’aller au pays. Je suivais mon père ! » se souvient-il. À cette époque, il savait déjà qu’il ne pourrait pas gagner sa vie avec sa passion dévorante. La Chambre de Commerce et d’Industrie de Nîmes le place alors dans une entreprise entre Alès et Nîmes, commercialisant des équipements de protection individuelle (EPI), où un ordinateur attendait d’être utilisé dans un but gestionnaire.

Lors de l’entretien, le directeur le sollicite immédiatement pour de la prise en main « je ne savais pas comment m’habiller alors j’y suis allé en gardian » précise Bérenger. Embauché le jour même, il commence à y mettre en place des outils et des applications, optimisant le développement de la boîte. Une agence s’ouvre à Marseille et tout s’enchaîne vitesse grand V « je me retrouve comme aspiré par l’envol de cette société. J’apprends le commerce et la logistique avec des gens de terrain, ce qui m’aide dans mes tâches » raconte-t-il.

C’est alors qu’une opportunité soudaine se présente à lui. Le patron d’une grande entreprise lyonnaise cherche à s’associer. Le feeling passe entre les deux hommes et une holding prend forme. Le « Groupe RG » est né, et entraîne Bérenger dans une spirale d’une grande polyvalence, entre Lyon et le grand Sud, touchant du doigt tous les corps de métier et lui apportant des compétences supplémentaires.

C’est à ce moment-là qu’il prend conscience de certains atouts « je me suis dit, pourquoi ne pas mettre en pratique ce que j’apprends avec les manades afin de mieux structurer les systèmes » se souvient Bérenger. Pourtant, Pierre Aubanel ne le suit pas vraiment dans cette idée, encore attaché aux fonctionnements plus ancestraux.     

De passions en passions

À la manade, les frères Aubanel ont simplement des places de gardians, mais pas encore de manadiers « on est les fils de Pierrot et ça s’arrête là » précise-t-il. Les taureaux n’ont ainsi leur place que le week-end, sauf pour Réginald qui entre sur l’élevage comme ouvrier agricole. Bérenger apprend les bases du métier par intermittence alors que son père a toujours voulu favoriser ses études « lui a été happé par les taureaux, il était passionné de photos et a pu, grâce à elles, monter sa manade. Cependant il en connaît les galères et ne nous a jamais poussé dedans » explique Bérenger.

Par ailleurs et toujours dans ce sens, Pierrot les incite également à pratiquer d’autres sports et à découvrir d’autres domaines d’activités. Les deux frères pratiquent l’aviron ensemble, avant que Réginald ne côtoie l’élite du moto cross en devenant l’un des meilleurs pilotes de France. Bérenger se lance dans le Karting dont il remporte le championnat de France en 1995 avant de débuter une véritable carrière dans le pilotage « on baigne tous les jours dans les taureaux, mais mon père nous intéresse à autre chose et nous avions donc des sports « casse-cous » à côté » révèle-t-il.

Une vie dynamique s’offre à lui, partagé entre son assise en informatique, sa passion des bioùs et l’adrénaline du kart, avant qu’une autre période ne s’entame, où la naissance de sa famille donne une autre dimension à son rythme de vie.

Tournent de vie et connexion

En 1998, Henry Aubanel décède. Dans un souci de pérennisation mais surtout conformément à son testament, la manade Baroncellienne, dont il avait repris la suite, est conservée dans l’état par son fils Pierre, liant intimement Bérenger et Réginald à son futur « il fallait qu’on s’organise, on parlait de quasi 300 bêtes ! Malgré tout, on décide de se lancer » dit Bérenger.

À l’aube de l’an 2000, ils créent alors une société. Et là, s’établit la connexion tant attendue « je trouvais enfin le sens de tout le savoir-faire informatique que j’avais appris. Tout s’est enclenché tel un interrupteur ! » se rappelle Bérenger. Les deux manades, qui demeurent à ce jour toujours bien distinctes. Représentent, à elles deux, 700 taureaux et plus de 80 cavaliers. La nécessité de coordination des deux entités. Le fer rouge et blanc et celui azur et argent, devenait, dès lors, indispensable. Réginald à la partie logistique et Bérenger à la partie gestion. Les manades prennent une autre tournure.

Cependant, des difficultés apparaissent et les nouveaux gérants, même entourés de leur père, ne sont pas au bout de leurs peines « on s’est rendu compte avec mon frère qu’on n’était rien du tout. On ne faisait pas partie de l’histoire de la manade Aubanel-Baroncelli qui avait déjà une solide équipe en place » avoue Bérenger avant d’ajouter « il a fallu qu’on fasse nos preuves, les gens nous regardaient comme les dernières roues du carrosse ». Entre temps, le groupe RG prend de l’ampleur et Bérenger est nommé Directeur Général des Systèmes d’Informations de l’entreprise en France, et ne tarde pas de le devenir pour l’international.

Ses responsabilités s’accélèrent avec importance aux débuts des années 2000. Heureusement, les gardians de confiance de son grand-père sont restés au Cailar notamment Daniel Guiraud, ou Florent Riboulet qui ont contribué à maintenir la manade Aubanel-Baroncelli-Santenco pendant plus de quinze années, alors qu’Henry Aubanel ne pouvait plus en assurer le travail quotidien.

Prise en main et « r »évolution

Quelques années après la création de la holding familiale, Bérenger doit assurer un nouvel objectif : les fêtes de villages. Pierre Aubanel pressent ses capacités à gérer de bout en bout une semaine d’abrivado dans le village de Bellegarde « c’était hyper compliqué humainement. J’ai appris la technique mais je me suis heurté au contexte humain. Il m’a fallu, pour la première fois, manager une équipe de gardians » exprime Bérenger. Face à des personnes plutôt caractérielles, le tout jeune manadier tente de s’imposer et rebondit sur ses erreurs.

Le « fils de Pierrot » commence réellement à faire sa place au cœur des abrivados, où son père lui conseillait d’être toujours en première ligne « il me disait, le jour où tu deviendras manadier c’est quand on t’appellera par ton prénom » raconte Bérenger. Une situation peu évidente alors même que son parcours, dans les sports mécaniques entre autres. Cela lui avait permis d’appréhender au mieux les prises de risques.

Alors que tout tourne à plein régime dans sa vie, son père se retire et il se voit confier l’intégralité de la gestion des deux élevages en 2008 « je me rends compte que ma vie se transforme, elle est stratosphérique » s’exclame Bérenger. Après ses douze heures de Directeur Informatique au sein du Groupe RG. Trois bonnes heures sont consacrées à l’organisation des week-end taurins à venir.

Ayant des difficultés à coordonner la manade cailarenne, dont il est moins proche géographiquement, la tentation de baisser les bras est forte mais de précieux soutiens, notamment avec l’aide de jeunes investis faisant office de relais, le maintiennent dans son statut de manager « je chapote tout : le calendrier, la facturation et le relationnel commercial » explique-t-il. Bien sûr, la force de cette organisation est le travail en équipe, beaucoup mieux coordonné grâce à l’informatique « on va beaucoup plus vite car on s’est structuré ».

Ainsi, une application mobile donne accès, en direct, aux fichiers informatiques. Relatifs à la généalogie, aux indices de performance des taureaux, aux déclarations sanitaires et aux suivis des soins.

Agenda, liste des cavaliers, cellule « tradition » avec personnes portant le costume d’Arles et envoi de convocations pour les évènements. Ce sont autant d’atouts nécessaires pour optimiser le fonctionnement des deux fers. Si les abrivados s’affirment comme étant le cœur d’activité des deux manades, avec pas moins de 300 contrats par an, la course camarguaise reste tout de même leur priorité numéro une « Vincent, par exemple, c’est un pur Baroncelli, Cetori un pur Aubanel. On a beaucoup d’espoirs ! On leur fait porter la devise de Pierre Aubanel mais il s’agit d’une sélection différente même si on travaille avec du sang Baroncellien des deux côtés » précise Bérenger.

L’informatique dans les mains permet la connexion des informations concernant les cheptels, leur consolidation et surtout leur traçabilité. Une façon différente de travailler la génétique « de plus, nous favorisons grandement la communication pour faire nos choix » dit Bérenger.

Avec des enfants très impliqués dans le processus, notamment Maxime le dernier né de la cinquième génération des Aubanel et fils de Bérenger, les informations remontent à chaque sortie des taureaux, même en encierro, ce qui permet de cerner des comportements futurs dans les arènes « l’arrivée des enfants a permis encore plus de moderniser ce repérage » affirme Bérenger. Et c’est une progression réelle qui est constatée depuis quelques années.

POUR L’AMOUR IDENTITAIRE

Depuis 2014, Bérenger Aubanel est président du groupement des manadiers de tradition. Et co-président de la Fédération des Manadiers qui a récemment vu le jour. Aux côtés de Florent Lupi-Chapelle et Françoise Peytavin. Une initiative soufflée par son père « une des premières missions qu’il m’avait données était de faire cesser l’emploi de l’expression « manadier de spectacles de rue » et de faire des catégories. Nous sommes tous des manadiers » se souvient-il.

Par des réunions de travail plus cadrées, de nouvelles règles voient le jour. Revenant à des valeurs simples comme le renfort des bases de tenues et d’harnachement. Parce que finalement la maintenance s’avère être l’histoire de la famille, à l’image de la Nacioun Gardiano, fondée par le marquis Folco de Baroncelli « ça coule dans nos gênes, on est né avec cela. Mon père avait de nombreux projets culturels » évoque Bérenger. Entre autres, celui de repositionner Baroncelli et son œuvre sur une place existante.

Recréer l’âme de sa propriété à travers la restauration de sa cabane aux Saintes Maries de la Mer. C’est un objectif que Bérenger souhaite défendre afin d’y exposer un grand nombre de pièces de collection. Comme des vieux livres, des selles ou encore un costume d’indien. Un certain 27 décembre 2017, Pierre Aubanel confie à son fils aîné l’existence de ce petit tiroir de bureau. Riche de ses projets en cours.

Lors d’un appel en plein conseil d’administration du Groupe RG. Il lui indique lui avoir transmis son savoir en quasi-totalité, le rassurant sur sa possibilité à prendre sa suite. Il décèdera quelques jours plus tard. Bérenger ressent « mon père a commencé le puzzle et je me dois de le terminer. C’est comme s’il planait quelque chose sur moi : je dois construire la fin de l’histoire ».

Entre un système informatique international à surveiller de près pour le groupe RG, au sein duquel il exerce ses fonctions depuis maintenant 32 ans, et une organisation pointilleuse à mener pour les deux manades héritées de famille, Bérenger Aubanel a trouvé l’adéquation logique d’un parcours peu ordinaire mais non fruit du hasard « j’essaie d’être un informaticien-manadier, tout en respectant le temps à donner à chacune des activités ». Un destin qu’on pourrait qualifier… de tout tracé.

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