DAMIEN MOUTET, l’abnégation d’un raseteur
L’abnégation est une des vertus essentielles d’un raseteur. Elle engendre parfois de graves souffrances physiques, mais elle est nécessaire à l’accomplissement de la passion. Raseter demande d’être passionnément vertueux. La vertu est une qualité qui implique d’avoir du courage, de surmonter sa peur, et surtout d’avoir la force de caractère qui permet de dépasser la terreur qu’engendre une blessure.
Damien Moutet, lui, l’a dépassée plusieurs fois !
Il a payé par le prix du sang, la vertu des sages. En raccrochant l’armure blanche cette saison, il accède au repos du guerrier bien mérité. C’est avec les honneurs de l’aficion qu’il clôture sa carrière.
Rappelons-nous du sacrifice du guerrier fosséen au grand sourire et aux yeux bleus, qui a bien mérité de sortir sous les feux de la rampe, en ayant marqué avec le rouge de son sang, son empreinte dans la course camarguaise.
Comment t’est venue la passion de la Course Camarguaise ?
J’avais 16 ans, et j’étais collègue avec Mathieu Marquier, on était du même village. Un jour, il me dit : « viens cet après midi, j’ai un entrainement aux arènes, avec des vachettes ». Je lui répondis « pas de soucis ! Je viendrais ». A l’époque, je faisais du judo, donc rien à voir avec la course camarguaise. Je suis allé le voir un mercredi après-midi et j’ai eu une grande envie d’essayer. Cette sensation d’adrénaline, de contact avec la bête, il me fallait essayer. J’ai pris ma licence. L’entraineur, à l’époque, était Eric Cuallado à Fos. Je ne savais même pas que je pouvais devenir raseteur. C’était pour faire le beau quand j’étais jeune au toro piscine. J’ai commencé comme ça et je me suis pris de passion pour cette activité. Puis, l’entraineur a changé. C’est Max Zaffaroni qui a pris la suite avec un objectif simple : nous faire devenir raseteur. On était une dizaine de jeunes et on était fermement décidé à le devenir. La passion est venue comme au fur et à mesure.
Après le judo, as-tu pris conscience que ce changement de sport allait bouleverser ta vie, que tu n’allais vivre que pour ça ?
Ça s’est fait tout seul en fait. J’ai eu ma ceinture noire de judo à 16 ans. La passion des taureaux m’est venue et je ne pouvais plus m’en passer. J’allais voir des courses. C’était les débuts d’Allouani (2000) et il y avait une réelle compétition. Je voulais faire comme eux. Petit à petit, j’ai essayé de réussir, de leur ressembler.
Quel a été le parcours après l’école taurine ?
J’ai commencé l’école taurine en 2000 – 2001. En juin 2003, je suis monté en course de protection (course de ligue aujourd’hui). J’ai continué dans cette catégorie en 2004. A l’époque, il y avait en 2003 Loïc Auzolle. En 2004, lui, il est monté aux AS. En course de protection, j’étais avec Victor Jourdan et Mathieu Marquier. Nous étions un peu les meneurs à droite, car à gauche il y avait des bons aussi. En 2005, je suis monté à l’avenir, où j’ai fini deuxième. J’ai gagné pas mal de trophées, notamment celui du meilleur animateur. En 2006, j’étais encore à l’avenir, mais j’ai fait quelques courses aux As. C’était une année de transition. J’ai fini troisième de l’Avenir à Lunel. En 2007, je suis parti au Trophée des As. J’ai eu pas mal de problèmes musculaires au début. Ensuite, j’ai pris un préparateur physique pour m’entrainer et m’éviter ces problèmes. Je faisais du sport, mais pas vraiment sur les bases d’une préparation. Aux As, en 2008 je finis deuxième à la Cocarde d’or, je gagne la Ficelle d’Argent à Pérols et quelques autres trophées. En 2009, je me casse la cheville. J’arrive à revenir pour les saisons 2010, 2011. En 2012, je me casse le genou gauche avec une rupture du croisé postérieur. J’ai vraiment galéré avec ce genou. Je pensais que les taureaux, c’était fini pour moi. J’ai pu reprendre les taureaux en juin 2014. Deux ans sur le carreau, c’est dur, je pensais vraiment arrêter. J’ai eu aussi une algodystrophie, mais elle est partie comme elle est venue, c’est particulier. J’ai pu me relâcher et je suis revenu en 2014 dans le groupe 2. Je ne voulais plus faire la bagarre aux As. Beaucoup de choses me sont arrivées en 2014 : ma fille est née, j’ai changé de métier, je ne voulais plus me prendre la tête mais me régaler. C’est pour cela que je suis parti dans le groupe 2 pour me faire plaisir.
Quel est ton meilleur souvenir en Course Camarguaise ?
J’en ai plusieurs. Mon plus gros souvenir est à l’Avenir, une finale du gland d’or à Montfrin, avec Mathis de Lautier. J’étais le seul à le raseter, une grosse course ! Mais aussi, une finale du Trophée de la Mer au Grau du Roi avec Yvan du Pantaï, Renoir de Cuillé. Un super souvenir où j’ai été acclamé par le public pour venir chercher mon prix. J’ai beaucoup de souvenirs avec des taureaux, des raseteurs, des rasets… A St Gilles, j’ai le souvenir d’un quart d’heure avec des rasets impressionnants à Andalou. J’avais cette fougue de la jeunesse, je calculais moins. C’est pour ça qu’il vaut mieux commencer jeune. Plus on prend de l’âge, plus on calcule.
Quels sont les taureaux qui ont marqué ta carrière ?
Ce sont les taureaux qui m’ont fait le plus peur : Yvan, Montvert, Mathis aussi, un bon taureau mais qui me faisait moins peur. Andalou également était un taureau très difficile qui aurait mérité un Bioù d’or. Pour moi le taureau le plus difficile que j’ai raseté dans ma carrière, c’est Garlan. J’avais du mal à dormir la veille quand je savais que je devais l’affronter le lendemain. Je n’étais pas un grand raseteur, mais mon défi était de raseter tous les taureaux. J’ai de bons souvenirs avec Garlan, lors d’une grande course à Lunel où je lui fis un raset de fou et où je m’en suis sorti par miracle. J’ai toujours levé sur les grands taureaux, même sur Garlan, car je me forçais à réussir, à le faire, pour sortir du lot. Aujourd’hui, les mentalités ont changé, il y a moins cette envie de réussir, de se surpasser.
Comment te perçois-tu en tant que raseteur ?
J’essayais d’avoir un raset qui fasse plaisir au public. Je devais rester au contact du taureau pour faire applaudir les gens. C’était important pour moi : tirer le meilleur du taureau en se faisant plaisir. Je cherchais à comprendre le taureau pour m’adapter à lui en faisant un raset différent. J’ai un raset pour le public, c’est ma personnalité. Je n’ai jamais appris à raseter pour lever des rubans, mais pour transmettre des émotions. Raseter, c’est se faire plaisir et pour se faire plaisir, il faut régaler les gens.
Quel est le bilan de ta carrière de raseteur ?
J’aurais aimé gagner plus de trophées. Mais je n’étais pas un gros leveur de rubans. Ma carrière a été ce qu’elle a été. J’avais envie de gagner. Quand je rentrais en piste, je voulais être le meilleur. C’est ce qui a bien changé aujourd’hui. Pour moi, raseter, c’est être le leader, mener la course, être le numéro un.
Je suis un raseteur par passion. J’aurais aimé faire mieux, j’ai quelques regrets. Mais je me suis toujours remis en question pour mieux avancer. Après chaque blessure, je me suis toujours relevé. Les coups de cornes n’ont pas été pour moi des blessures graves. Les blessures graves ont été physiques avec mon genou qui m’a empêché de réaliser ma passion pleinement. Je suis fier de moi d’avoir pu revenir plus fort pour gagner.
Tu termines ta carrière en 2019. Malheureusement ton jubilé n’a pas pu avoir lieu à cause de ta blessure. Comment va se passer l’avenir pour toi ?
L’année 2019 fut difficile. Mais mon état d’esprit n’a pas changé. J’ai toujours voulu me relever. En 2020, une fois la crise du coronavirus passée, je vais tourner pour Gabriel Montesinos. Je veux m’épanouir en tant que tourneur avec lui, qu’il se régale, qu’il prenne du plaisir. Si c’est le cas, je serais comblé et mon plaisir personnel sera là. Nous allons essayer de faire du bon travail pour régaler le public.