ENTRETIEN avec Sabri Allouani

ENTRETIEN avec Sabri Allouani

Auteur d’une immense carrière de raseteur, Sabri Allouani est le grand raseteur des années 2000. 

10 Trophées des AS (2000 – 2001 – 2002 – 2003 – 2004 – 2005 – 2006 – 2008 – 2009 – 2014), 6 Cocarde d’or (2002 – 2005 – 2006 – 2007 – 2009 – 2013) et tous les autres trophées majeurs de la Course Camarguaise ont été remportés par le raseteur droitier.

Une véritable envie d’y arriver, d’exister et surtout de subvenir au besoin de sa famille, vont le pousser à dépasser ses limites. Courageux, athlétique et très solide physiquement, son raset ne laissa personne indifférent. Il est accompagné d’une rage de vaincre sans égal.

Nous avons rencontré Sabri Allouani, qui s’est confié à nous sur sa carrière de raseteur et sa vie personnelle. Moment intime à cœur ouvert.

Comment êtes-vous venu aux taureaux ?

Très simplement, j’habitais Vendargues. Même si je suis né à Montpellier, j’ai toujours habité ce village. Quand j’ai eu 13 ans, il s’est monté une école taurine à Vendargues. J’ai joué au football toute ma jeunesse avec une bande de copains. Comme le foot finissait au mois de mai, on voulait trouver quelque chose à faire avec les copains. Du coup, nous étions une vingtaine à nous inscrire dans cette école taurine. 

Vous avez fait une carrière quasi professionnelle au football. Qu’est-ce qui vous a fait basculer vers la course camarguaise ?

J’avais des qualités au football qui étaient intéressantes. Je suis allé faire un essai à Sochaux et je me suis retrouvé à 13 ans au froid à partir là-haut en train, loin de ma famille. Cette année là j’ai perdu ma mère dans un accident de voiture au Maroc. Ensuite, je suis revenu, j’ai continué un peu à jouer au football et j’ai commencé l’école taurine. J’avais été détecté par le club d’Alès qui était en deuxième division. A l’époque,   Lamouchi et Ribéry  jouaient dans ce club. Mon club de foot de Vendargues ne m’a jamais dit que j’avais été contacté. Je l’ai su après. Cela m’a un peu dégouté. Je continuais à raseter, sans penser à faire carrière.

A l’âge de 16-17 ans, j’ai su que j’allais raseter de façon professionnelle mais sans penser à une grande carrière. Quand j’étais à l’école taurine, je voulais seulement raseter en protection. Je ne me disais pas que j’allais être un grand raseteur aux AS. J’ai ensuite pensé à monter à l’avenir, j’ai pris tout cela étape par étape. 

Quel a été le déclic dans votre carrière pour arriver à cet incroyable palmarès et ce record de 10 trophées des AS ?

Le déclic a été la perte de mon père. Nous nous sommes retrouvés seuls, livrés à nous mêmes. Je n’avais pas fait d’études, c’était mon gagne pain. C’était comme ça que je voulais m’en sortir. 

Cela a vraiment été un ascenseur social pour vous ?

Oui totalement. Ça m’a tout apporté. J’avais deux choix dans la vie : le choix des taureaux pour réussir à gagner un peu d’argent ou basculer dans la mauvaise voie. Mais celle-ci ne m’intéressait pas. Quand j’étais petit et que je volais un bonbon, je tremblais déjà. Je savais bien que ce n’était pas cela que je voulais faire. J’ai donc choisi la bonne voie. Ensuite, j’ai tout mis en œuvre pour réussir. 

Comment avez-vous réussi à gérer cette pression du haut niveau pour arriver à une grande régularité ?

Je n’avais pas vraiment de pression avec les taureaux. La pression que j’avais, c’était de subvenir aux besoins de mes neuf frères et sœurs. Je rasetais pour eux, pour que l’on soit tous bien. Les taureaux et les trophées, ce n’étaient que du plaisir. Ma plus grosse pression, c’était d’aider ma famille.

Avec le recul de votre carrière, pensez-vous que c’est grâce à ça que vous avez réussi cette carrière ?

Le Sabri en piste n’a rien à voir avec le Sabri de l’extérieur. Si j’avais pu choisir, j’aurais gardé mes parents. Le fait de les avoir perdus, m’a permis de faire la carrière que j’ai faite. J’en suis persuadé.

Dans votre carrière, vous avez connu différentes époques, vous arrivez en 2000 aux As, Quels sont vos meilleures saisons et vos meilleurs souvenirs ?

J’ai tout d’abord eu la génération Bensalah, Meseguer, Félix, Guetal, puis ensuite celle avec Villard, Poujol et Auzolle. Chaque style est différent. A l’époque, les anciens me disaient « nous, c’était mieux avant. Profite car ça passe vite… » Je me disais « mais qu’est ce qu’ils me racontent, j’ai 20 ans !». En fait, ce sont eux qui avaient raison. Aujourd’hui, de ma carrière, je garde un souvenir extraordinaire avec toutes les générations. Nous avons eu des hauts et des bas, des disputes. Mais je me rends compte qu’on est une famille… On s’est chamaillé car c’était notre gagne pain et il y avait une place de numéro un à prendre. Cela faisait parti du jeu. Aujourd’hui nous avons grandi, nous ne sommes plus en concurrence et je suis content de croiser mes collègues raseteurs ou adversaires de l’époque.

Vous avez marqué l’histoire de grandes arènes, notamment Lunel avec comme taureaux Romain, Tristan… Pensez vous qu’aujourd’hui, nous manquons de ces taureaux là ?

Je ne peux pas comparer, je ne suis plus en piste aujourd’hui. J’ai eu mes taureaux, j’en ai profité au maximum. Les Romain, les Gaulois, Tristan, Virat… tous ces taureaux ont fait parti de ma carrière. Chaque époque a ses taureaux. Ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui doivent juger les taureaux qu’ils rasètent. Quand je suis sur les gradins, cela me paraît facile. Mais quand je suis en contre-piste en bas à 40 ans, cela me paraît plus difficile. Donc je ne peux pas juger.

Pensez-vous que le football vous a aidé physiquement dans les taureaux ?

Oui, c’est certain ! Je n’avais pas de coupure. Je languissais que la finale du Trophée des As passe pour pouvoir reprendre le football. Quand le mois de février arrivé, je languissais que la saison des taureaux reprenne. Je n’avais pas de coupure, je faisais du sport toute l’année. Il est certain que cela m’a aidé.

Si vous deviez choisir entre les 3 grands trophées de la saison (Trophée des AS, Palme d’or et Cocarde d’or), que vous avez tous gagnés, lequel choisiriez-vous ?

Le trophée des AS, sans hésitation. La Cocarde d’or, c’est une compétition extraordinaire mais ce n’est que sur une journée. Nous avons vu des raseteurs qui l’ont gagné mais qui n’ont pas forcément fait carrière par la suite. Pour moi, le plus difficile, c’est d’être performant de mars à octobre. Là c’est compliqué, il ne faut pas se relâcher, être constant. C’est une chose qui m’a demandé le plus d’effort, de concentration, de récupération. On met tout en œuvre le dimanche pour préparer la course du dimanche suivant. Tous les dimanches, tu dois être performant. Puis la notoriété, c’est le trophée des AS. Gagner la Cocarde d’or, non. Ce qui marque l’Histoire, c’est le trophée des AS. Quand nous parlons avec les néophytes de la course camarguaise, ils te diront « lui il a gagné le trophée des AS », on ne te dira pas « lui il a gagné la cocarde d’or ». La Cocarde d’or, c’est pour les puristes. 

Vous avez fait une coupure en 2010. Vous vous êtes arrêté. Qu’est ce qui vous a poussé à vous arrêter à ce moment là alors que vous étiez encore en forme ? 

Ce que je vais dire aujourd’hui, je ne l’ai jamais dit. Quand ma mère est décédée, elle avait vu un marabout, qui lui avait dit, deux jours avant son accident : « vous allez avoir un accident et vous n’allez pas avoir de sang ». Ma mère est morte d’une hémorragie interne. Quand  je suis allé voir également un marabout, il m’a dit : « à 32 ans vous allez prendre un coup de corne et vous allez mourir. » Donc en 2010, avant que ça m’arrive, j’ai arrêté. Je savais que j’allais reprendre, mais j’ai arrêté. Je voulais passer ce cap et avoir 33 ans, pour me dire qu’il s’était trompé. J’ai arrêté pour ça. J’en ai profité un peu, j’ai acheté un bar à Vendargues pour me relancer dans ma vie après ma carrière de raseteur. J’ai repris au mois de mai suivant quand cela était passé.

Comment vit-on l’après raseteur ?

Très difficilement. Pas financièrement. Mais c’est difficile car on a fait ça toute notre vie. Pour d’autres raseteurs cela a été plus facile. Ils ont un travail et ont réussi cette transition. Moi j’avais un travail, mais je n’étais pas heureux dans ma vie. Forcément ça se répercute sur la vie familiale. J’avais l’habitude d’être en piste, dans les vestiaires avec les raseteurs après la course… Se retrouver le dimanche à la maison ou aller à la plage, ce n’est pas pour moi. Je n’ai pas fait une dépression, mais pendant quatre mois je n’étais vraiment pas bien.

Pensez-vous que la course camarguaise manque de structures pour gérer une carrière avant, pendant et après ?

Nous manquons de tout. Nous sommes livrés à nous même du début de la carrière à la fin. J’ai organisé avec Vincent Ribera au Grau du Roi des courses camarguaises. En étant en bas, je n’avais qu’une envie, c’était de sauter en piste. C’est pour cela également que j’ai arrêté, il me fallait impérativement faire une pause, m’éloigner des taureaux. Il faut être très fort mentalement. Si tu ne l’es pas, tu craques. Cela fait des mois que je n’ai pas vu un kiné et il me manque… C’était une période… aujourd’hui ça va mieux.

Cette période d’organisation de courses vous a plu ? Est ce que c’est quelque chose que vous aimeriez refaire ?

Oui, ça m’a plu énormément. J’étais fort dans ce domaine, même si j’ai fait des erreurs bien sûr. Je ne pense pas être fait pour entrainer une école taurine. Il y a un grand écart générationnel. Ils ne pensent pas comme nous. Je me souviens quand j’étais jeune, que je voyais les Bensalah, Meseguer, Félix, je les regardais du coin de l’œil intimidé. Aujourd’hui, un jeune de protection passe devant toi, il ne te dit même pas bonjour. Est ce que c’est de la timidité ou autre, je ne sais pas. C’est pour cela aussi que j’ai pris un peu de recul.

Pensez-vous que la nouvelle génération manque de challenge, de compétition, de connaitre l’histoire pour arriver à battre des records ?

J’espère qu’ils ont de l’ambition, sinon ce sera compliqué pour eux. La course camarguaise ce n’est pas vivre au jour le jour. La course camarguaise, ce sont des objectifs, des ambitions. Si tu ne le fais pas, il est difficile de faire carrière. 

Pensez-vous que pour réussir, il faut se consacrer à 100% à la course camarguaise ?

Il n’y a qu’à regarder tous les vainqueurs du Trophée des As…Tous les grands raseteurs se sont investis à 100% dans la course camarguaise. Nous pouvions le faire. Tu ne pouvais pas aller travailler de 4h à 11h du matin aux poubelles et être en forme l’après-midi pour raseter. Ceux qui le font tant mieux s’ils y arrivent, je leur tire mon chapeau, mais c’est très compliqué.

Vous êtes très proche de Ziko Katif. Est-ce que cela vous plairez de manager, aider et suivre un raseteur ?

Oui totalement. Ziko, c’est un peu comme mon petit frère. A travers lui, j’ai un peu continué ma carrière. C’était mon futur objectif, de le mettre bien et ensuite pouvoir partir. L’année où il gagne le Trophée des AS, il fait une saison exceptionnelle. Je me suis dis « je peux partir tranquille ». 

Quel serait le mot qui définirait le mieux ta carrière et les taureaux ?

Fantastique. Amour. C’est ma vie.