JACQUES BLATIERE : DE LA MANADE A LA PHARMACIE

JACQUES BLATIERE DE LA MANADE A LA PHARMACIE

JACQUES BLATIERE : DE LA MANADE A LA PHARMACIE

C’est après la guerre 14-18, au cœur d’un mouvement d’envie de vivre démultipliée, qu’Alfred Blatiere achète ses premiers taureaux. Il avait fait partie des cavaliers rassemblés pour la célèbre « levée des tridents », à Nîmes. En faveur de l’attachement aux traditions taurines. C’est dans cette continuité qu’Arthur et Fredou, ses fils, reprirent le flambeau d’un troupeau de race typiquement baroncelienne. Avec l’apport des qualités du Vovo, qui donna littéralement un coup de fouet à l’élevage aux bannes blanches. Naturellement, Jacques le fils d’Arthur s’investit corps et âme dans le patrimoine familial, d’autant plus qu’il grandit avec celui qui deviendra son plus beau souvenir : Gandar « il avait un an de moins que moi » précise-t-il. Le taureau rapporte le premier Bioù d’Or des Blatiere, et le tout premier décerné à un seul cocardier, devant de grands taureaux de l’époque  tels que les Régisseur, Lopez, Caraque… Poussé par ses aïeux à obtenir un métier sûr et qualifié, Jacques deviendra alors pharmacien. Une fonction qu’il exerce, depuis plus de 50 ans. Principalement sur la commune de Saint Laurent d’Aigouze, aux côtés d’une équipe qu’il souhaite soudée. Et avant tout, imprégnée du terroir.

« Le plus vieux pharmacien d’Occitanie »

Ayant perdu son père relativement tôt, Jacques demeure très proche de son oncle Fredou « j’ai été le fils de mon oncle » précise-t-il. Tellement que celui-ci l’encourage fortement à continuer ses études. Jacques en témoigne « la manade c’était ma vie, je ne voulais pas trop aller à l’école mais lui me disait de me débrouiller pour réussir au mois de juin afin d’être là durant la saison ».

D’un parcours scolaire plutôt laborieux, tel qu’il le qualifie. En obtenant tout de même un Bac Philosophie sur une bonne note. Jacques Blatiere se dirigea vers la pharmacie, sur les conseils d’un certain M. Frutier, un ami viticulteur et pharmacien de la famille. Alors qu’il travaillait sur Uzes, Saint Laurent d’Aigouze perd son pharmacien et il décide de postuler pour la reprise du commerce « on m’a choisi parce que j’étais du coin » assure-t-il. Pas chercheur, ni passionné par le métier au départ. Il s’installe dans le petit village où la fe di biou. Bien ancrée, le garde près de sa passion de toujours. Pour autant, avec 52 inscriptions à l’Ordre National des Pharmaciens, il est aujourd’hui « le plus vieux pharmacien de la région Occitanie ».

Avec l’opportunité d’acheter un hangar juste en face de l’église et des arènes, c’est aussi une habitation à l’étage qui prend forme pour Jacques et sa femme Françoise, qui l’accompagne alors en tant que préparatrice en pharmacie « au début, on était que tous les deux avant que ça ne s’étoffe, qu’on ait plus de boulot et donc plus de personnel » raconte le manadier. Cela fait seulement une vingtaine d’années qu’il a fait construire au Mas des Iscles « j’ai toujours fait de l’alternance : avant j’allais d’ici à la manade, maintenant je viens de la manade à ici ». Eh oui, parce qu’à 78 ans, Jacques Blatiere se rend encore tous les jours sur son lieu de travail. Une pharmacie de village devenu son habitude, où un bureau bien personnalisé l’y attend dans l’arrière-boutique.

« Je suis le chef mais eux sont aux commandes »

Des photos, un trident, un seden, des souvenirs divers et variés, affiches, livres, mais aussi des trophées. De nombreuses coupes et surtout un Bioù d’Or. Celui de Dur, titré en 1973, sculpture si imposante qu’on ne peut que la remarquer. Ici, Jacques s’occupe encore de la paperasse et traite avec la comptable mais laisse en totale autonomie son équipe de pharmaciens et préparateurs délivrer les ordonnances « j’y suis mais ils se débrouillent. Je ne fais même plus la caisse, j’aime juste être dans l’ambiance » dit-il avant d’ajouter « je suis le chef mais eux sont aux commandes ». Ces « petits » tels qu’il les qualifie, sont pour la majorité des gens du village, qui s’apprécient et, surtout, qui aiment la tradition. Une qualité importante pour le pharmacien, éleveur de taureaux camargues. Christine, il l’a connu toute petite, elle s’habillait en arlésienne.

Quant à Emile, il montait à cheval. Aujourd’hui à la retraite, Jacques fut contraint de lui élaborer un contrat sur mesure de deux jours par semaine. Celui-ci étant attaché à l’atmosphère chaleureux qui règne dans les murs de l’entreprise. L’été, quelques jeunes viennent les compléter pour les vacances. « Les salariés sont adorables » se satisfait Jacques. Et il le leur rend bien « en 40 ans, je crois que je n’ai eu d’arrêt de travail de personne. Quand ils ne vont pas bien, je leur dis de rester coucher. On ne va pas faire un arrêt pour trois jours ! ». Une implication qu’il explique aussi avec réalité « je pense qu’ils sont fidèles parce que je leur donne à chacun des responsabilités, ils font partis à part entière de la pharmacie ».

Profondément humain et doté d’une générosité à cœur de main, Jacques Blatiere sait aussi contribuer à ce bien-être professionnel quotidien « on fait l’inventaire le premier octobre. Pour nous c’est jour de fête ! Tout le monde s’y met, ensuite à midi on va au resto, à 17 heures c’est fini et tout le monde est content ». Le jeudi, tout le monde est aussi convié au restaurant à l’occasion de la venue de la comptable. Une proximité avec ses salariés dont Jacques connaît les limites, notamment concernant son statut de manadier « je ne me cache pas d’être pharmacien et je ne me cache pas non plus d’être manadier, mais on ne mélange pas trop les genres.

La pharmacie requiert un peu de discrétion, un certain devoir de réserve ». Alors, quand les clients viennent à parler du taureau qu’ils ont vu la veille, ou dont le compte-rendu est passé dans le journal local, le titulaire n’étend pas trop les commentaires, qui se veulent discrets « je ne veux pas choquer les gens. Ça se fait naturellement mais je ne le mets pas trop en avant, la pharmacie reste la pharmacie ». Un professionnalisme et une humilité qui caractérisent si bien l’éleveur des Iscles « je préfère l’être au paraître » soulignera-t-il.

« J’ai eu l’occasion de faire ma thèse de pharmacien à 60 ans »

À l’heure où l’histoire se répète. Alors que ses deux neveux, Pierre et Laurent Bessac ont suivi les pas de leur oncle. Jacques Blatiere rappelle le plaisir de vivre dans la nature. Cependant, riche du conseil dont il avait bénéficié, il les incita à prendre les bonnes décisions « ils ont acquis leur savoir-faire en me regardant travailler. Je ne voulais pas les pousser à reprendre la manade et je souhaitais surtout qu’ils conservent un emploi à côté. Ils ont une petite propriété de vigne qui leur permet de vivre ».

Et puis ils peuvent compter sur l’aide de Fabien, dont Jacques et Françoise sont les curateurs depuis de nombreuses années. Malentendant, il avait été apprivoisé par le couple alors qu’il n’avait que quatre ans et demi « il n’a pas de complexe, il s’est bien intégré dans le milieu taurin. Je crois qu’il nous a plus apporté que ce qu’on lui a apporté.

On a vécu une expérience intéressante à travers lui ». Si Jacques est transparent de bienveillance, il n’en est pas autant de ses cocardiers. Mais aussi, Fantasques, brutes, explosifs de sang, méchants et combatifs sur le sable. Tellement admiratif de vivre à leurs côtés, au sein d’une biodiversité étonnante que détient la Camargue, c’est à 60 ans, en 2005, que le manadier effectue sa thèse à la faculté de pharmacie « je faisais partie des promotions qui ne faisaient pas de thèses. J’ai eu l’occasion de la faire et, petit à petit, je m’y suis mis. Mais il n’y a rien d’Einstein : je parle de botanique et puis j’ai basculé sur le taureau. C’est un ramassis de ce que je savais ». Un concentré de savoirs, témoins d’une richesse exceptionnelle, tout comme le personnage.

ARTICLE TORIL TV – 2019

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