Quand le mistral souffle sur la Course Camarguaise – Photo Michel Naval
Article disponible dans le magazine AFDB Mars Avril 2020
Il est des saisons où les tempêtes et les moussons arrivent de façon imprévue. Cela devient traditionnel de voir en début de chaque saison, des mouvements de contestations venant souvent des mêmes acteurs. Mais cette année la contestation est plus forte que d’habitude !
Légitime ou pas, c’est toujours malheureusement le même processus qui se produit depuis 4 années consécutives. Les discussions hivernales conduisent à des actions contestataires. Au départ, elles font office de régulation et de négociations entre les parties prenantes de la course camarguaise mais elles se terminent en conflit.
Avant d’exposer la situation, il nous faut bien comprendre comment fonctionne le système fédéral.
La FFCC est une association loi 1901, affiliée au ministère de la jeunesse et des sports. Elle bénéficie du statut des fédérations sportives. Elle doit être évidemment conforme au code du sport et avoir un règlement intérieur ainsi qu’un règlement sportif, médical, financier, disciplinaire et sur le dopage.
Même si la gestion reste complexe, c’est une structure classique d’une fédération sportive.
Dans son fonctionnement, la FFCC reconnait les associations par une affiliation. Elle permet aux membres élus d’intégrer la fédération et de représenter leur corporation. Ils peuvent soumettre des idées ou des projets dans le but d’en faire des points règlementaires.
Les choses se compliquent dans le fonctionnement, la mise en place et l’application de ces règlements. La mise en place de règles passe par des commissions. Elles ont toutes un objet précis et un thème à traiter. Chacune d’entre elles soumet des règles pour pallier à d’éventuels problèmes ou mettre en place des projets pour développer la course camarguaise. Ces projets sont présentés en premier lieu au bureau dirigeant. Une fois approuvés par le bureau, ils seront votés en comité directeur composé de 35 membres élus au prorata du nombre de licences par collège. Plus vous représentez un nombre important de licences, plus vous avez de sièges au comité directeur. Les élections ont lieux tous les 4 ans.
Et c’est sur ce point où les choses se gâtent ! Car évidemment chaque association défend ses propres intérêts qui peuvent parfois être divergeant avec ceux d’autres corporations. Nous arrivons à la patate chaude !
Ces associations affiliées sont les suivantes :
La toute jeune fédération des manadiers regroupant les diverses associations de manadiers ancestrales, l’association des raseteurs regroupant les tourneurs et les raseteurs et les clubs taurins organisateurs. Viennent ensuite les délégués et le médecin fédéral.
C’est de ce fonctionnement que vient le problème : tous dans ce fonctionnement fédéral sont bénévoles mis à part trois employés à plein temps, deux secrétaires et un conseiller technique.
Beaucoup de points sont souvent sujet à la discorde. Par exemple, la mise en place du calendrier des courses. Lors du dépôt des dates de courses, il y a toujours des désaccords entre les organisateurs privés et les organisateurs associatifs. Il y a aussi des désaccords en fonction du niveau aussi : As, Avenir ou encore ligues.
Maintenant que le décor est planté, exposons les détails des événements qui se sont déroulés en commençant par la fédération des manadiers.
La fédération des manadiers
La réunification tant attendue a eu lieu officiellement le 9 février 2019. Depuis plusieurs années, c’était un souhait formulé par plusieurs institutions de n’avoir qu’un seul interlocuteur afin de ne parler que d’une seule voix et au nom de tous. Cette fédération regroupe aujourd’hui tous les manadiers y compris ceux qui ne pratiquent que des abrivados et des bandidos. C’est en cela aussi que la fédération est novatrice.
Malgré des intérêts divergents, cet organe permet de défendre la pratique de certains spectacles, le mode d’élevage propre au taureau de Camargue.
Les élections municipales sont un moment opportun pour faire adhérer au combat les candidats.
La fédération s’est structurée autour de Florent Lupi son président. Il peut compter sur le soutien de Bérenger Aubanel l’assistant juridique. Il est épaulé par Maître Gontard. Le travail ne manque pas.
L’assureur historique des manades, Groupama, annonce une augmentation des cotisations allant jusqu’à 500% et radie sept manades de son fichier clients.
On peut entendre que cette augmentation n’est pas incohérente, aux vues des risques et surtout des sommes qui peuvent être mises en jeu en cas d’éventuels litiges.
Mais si nous savons tous que le risque existe, qu’en est-il des chiffres ?
Si plusieurs litiges sont en cours, il n’y a eu aucune condamnation des manades incriminées. Les assurances de ces derniers n’ont donc pas eu à indemniser les sommes provisionnées au dire de Bérenger Aubanel.
Les chiffres présentés lors de l’entretien de Fourques montrent une augmentation dans un cadre bien précis sous la dénomination de divagation. Ce terme est juridique. Il dit qu’un animal appartenant à un propriétaire et qui cause des dégâts implique une indemnisation des éventuels dégâts par les assurances.
Pour faire simple et le ramener à notre culture, quand un taureau échappe lors d’évènements extérieurs à la manade, qu’ils blessent plusieurs piétons, c’est l’assurance qui paie. C’est cette clause qui rentre en compte.
Autre fait qui alourdit la réflexion : le même assureur couvre parfois les manades et les organisateurs. Il se retrouve en première ligne des attaques et cela peut paraitre légitime de vouloir partager les risques.
Mais dans les faits, il en est tout autrement. Cette augmentation des cotisations fragilise un peu plus les évènements en lien avec notre culture. L’impact est très clair, cela coûtera plus cher d’organiser qu’auparavant. Donc de fait, il y aura moins d’organisations et d’évènements. Les villages historiques ne seront peut-être pas touchés mais pour les autres cela dépendra uniquement de la volonté politique municipale. Les municipalités sont de plus en plus frileuses à l’idée de prendre elles aussi une partie des risques. La pression préfectorale sur les mairies est elle également de plus en plus forte, à la suite d’accidents. Beaucoup de manadiers n’auront pas de quoi assumer cette augmentation et ne pourront tout simplement pas continuer d’élever des bêtes pour un nombre réduit de manifestations. La fédération des manadiers a pour mérite de vouloir structurer une défense et surtout la volonté de perpétuer notre art vivre. Une charte doit être rédigée dans le but d’établir un cadre et de rassurer d’éventuels partenaires ou institutions sur les pratiques traditionnelles. Les bonnes volontés se manifestent.
Cette information aurait pu n’être qu’une histoire de gestion de risques au sein d’une compagnie qui cherche à éviter les pertes, si elle n’intervenait pas dans ce contexte de tensions.
A l’heure au nous parlons, plusieurs signaux nous orientent vers une autre piste. Celle là parait beaucoup plus difficile à affronter.
Union des clubs taurin Paul Ricard
La société Ricard, partenaire historique retire sa présence et son mécénat de l’union créé par Paul Ricard lui-même. Les époques sont bien sûr très différentes. La société Ricard a évolué comme doit le faire toute entreprise jusqu’à créer un empire côté en bourse au CAC 40. Historiquement l’axe de Paul Ricard était très bien pensé : à l’époque les fêtes votives battaient leur plein d’affluence et avaient une bonne image. Autour de ces fêtes, il y avait des taureaux. La société Ricard apporta son soutien de manière intelligente. Elle permit une structuration non négligeable de tous les organiseurs de spectacles taurins. Mais la chute du chiffre d’affaire a conduit la société Paul Ricard à s’éloigner des différentes tauromachies sans distinction. L’image de nos traditions et de notre art de vivre n’est plus au beau fixe. Elle est un peu désuète et mal perçue par beaucoup. Si cette image devient négative, elle n’incitera pas des investisseurs à s’intéresser à un marché aussi petit, désorganisé et conflictuel que celui de la Camargue et ses pratiques.
Nous sommes à l’ère de la mondialisation, du numérique et de la communication sur les réseaux sociaux. Les attaques nécessitent d’être organisé pour démêler le vrai du faux. Le monde autour de notre culture a changé. Nous avons cru que la course camarguaise était un acquis inébranlable. Les tauromachies sont attaquées par les animalistes. Ils considèrent que nous nuisons au bien être animal. Ils ne savent pas que le seigneur est et restera le taureau. Son instinct à se défendre et à comprendre les situations de combat est mis en valeur par notre pratique. Pour eux, les manadiers sont de simples agriculteurs qui élèvent des animaux sauvages en semi-liberté. Or, ce taureau n’existe uniquement parce que la course camarguaise et ses traditions existent. Aucun éleveur ne continuera à l’élever, si elles disparaissent. C’est donc une espèce de taureau qui disparaitra en même temps qu’un patrimoine génétique et culturel. Les animalistes sont passés de militants désorganisés et violents à des lobbyistes influant au niveau politique. Petit à petit notre mode de vie est remis en cause. Nous avons une mine d’or culturelle unique. Notre faiblesse est que nous manquons d’organisation et de vision. Et c’est ça que nous payons cher aujourd’hui. Ce qui nous entraîne vers une vulnérabilité considérable.
Mais nous ne disparaitrons pas ! Cela néanmoins va nécessiter de l’organisation et une vision à moyen et à long terme. Tout le monde ne sera pas satisfait mais il faudra faire des concessions pour que survive notre art de vivre.
Revenons au conflit qui cristallise le début de saison.
L’association des Raseteurs
C’est l’association affiliée à la FFCC qui rassemble les raseteurs et les tourneurs de toutes les catégories. Le président siège d’office à la fédération et au bureau dirigeant. Mais à la suite du tumulte, ce n’est plus le cas. En effet, depuis le départ d’Hadrien Poujol, Jean Marc Soulas a pris la succession des projets qui étaient en cours. Celui de l’arbitrage était un des projets. Il était déjà sensible : il avait causé la démission d’Hadrien Poujol qui était alors le président. Au cours des discussions hivernales, le projet d’arbitrage a donc refait surface. Les raseteurs Joachim Cadenas, Youssef Zekraoui, Yassin Naïm et Thomas Dumont présents au comité directeur font le souhait d’intégrer le groupe de travail qui réfléchit sur le projet d’arbitrage. En vain ! Les discussions continuent sans l’aval des raseteurs, ce qui jette un peu plus d’huile sur le feu. Plusieurs autres points sensibles font également débat et n’enchantent pas la corporation des raseteurs. Celui de la remise au jour du 4ème groupe de raseteurs. Il était prévu d’intégrer des raseteurs n’ayant pas le niveau pour accéder au niveau supérieur à celui de ligues. On voulait s’en servir pour qu’ils forment des taureaux jeunes et le non moins polémique sujet de la pause attribuée entre le 1er gland et le 2nd gland. Les raseteurs étant écartés de toutes discussions, leur seul moyen de pression pour être entendu, était de dire qu’il ne prenait pas leurs licences tant qu’ils n’étaient pas écoutés. Quid des restants au comité. Les discussions se poursuivirent en laissant sous-entendre que les raseteurs commenceraient la saison comme prévue. Cela évidemment ne s’est pas produit !
La journée centenaire de la manade Fanfonne Guillierme ainsi que le congrès fédéral sont les dommages collatéraux liés aux tensions entre les parties dirigeantes. Ils pénalisent les aficionados des premières courses ouvrant la saison taurine.
A la suite de ces évènements, le président Jean-Marc Soulas démissionne de ses fonctions en se disant dans l’incapacité de gérer ce conflit. Il cèdera sa place à Nicolas Triol, seul à proposer sa candidature à la relève. Il intègre le comité directeur avec quelques membres de sa liste qu’il avait présentés en opposition à celle d’Hadrien Poujol.
Les négociations se prolongent. Chaque association défend ses intérêts au détriment d’une entente et surtout au détriment d’un vrai projet visant à l’amélioration de notre art de vivre.
Les manadiers veulent protéger les taureaux, les raseteurs veulent de la compétition et les organisateurs veulent du spectacle afin de voir les gradins se remplir. Au milieu de ces difficultés, la FFCC doit être l’organe officiel de régulation accompagnant les projets de développement autour de la formation, de la politique à tenir avec les jeunes raseteurs. Aujourd’hui, elle ne gère que du conflit sans jamais jouer son rôle de régulateur. Le problème est bien là. La gestion fédérale est décriée depuis des années. Il est coutume d’avantager toujours sa corporation au détriment d’une autre, de privilégier l’intérêt personnel ou l’égo à celui d’un axe commun de travail. La progression est mise de côté depuis plusieurs années.
Par ailleurs, l’arrivée du COVID-19 contraint toutes les parties à rester à la maison. C’est néanmoins une chance pour que les discussions se prolongent et aboutissent. Nous n’avons que trop défrayé l’actualité.
La saison 2020 sera courte. Nous allons analyser chaque étape et nous vous transmettrons nos analyses.