VIRAGE IMPORTANT

Virage important – Photo Laurent Sonzogni

Landié est un taureau exceptionnel tout comme Jupiter, auréolé l’an dernier. Leur sacre durant les deux dernières saisons se justifie, il n’y a aucun doute. Ce sont deux taureaux avec un cœur énorme, plein de noblesse, d’une rare méchanceté et très spectaculaires. Ils ont cette capacité à transmettre au public leur implication durant tout un quart d’heure. Ils ont l’avantage aussi qu’un néophyte peut comprendre leurs capacités et les professionnels saluent très largement leur nombre d’actions à la planche et leur noblesse durant quinze minutes.

Là où la question se pose, ce n’est pas sur la valeur de ces deux taureaux, mais bel et bien sur le sens que ces deux sacres donnent à la course camarguaise.

L’an dernier, le taureau Cupidon de la manade Paulin réalise une saison exceptionnelle, alors que Jupiter réalise initialement une tournée d’adieu. Cette saison, Landié, certes remporte tous les prix là où il passe, mais ne fait que quatre sorties dont une HP.

En revanche, Optimus des Baumelles et Pourpier de Saumade passent par toutes les compétitions les plus importantes, ce qui les amène à adapter leur comportement pour palier à la pression de la compétition du jour et celle annuelle.

Qu’est-ce que tout cela représente ?

Pour ne parler que des taureaux actuels, car plusieurs n’ont pas participé aux finales mais sont dans le même cas, Optimus, Pourpier et Cupidon sont moins facilement accessibles au grand public, beaucoup de leurs comportements « clés » ne sont pas facilement identifiables au premier coup d’œil. Optimus en est un excellent exemple. Il a une telle capacité à repousser un raset juste par sa position qu’il domine parfois les courses uniquement en jouant de son savoir. Pourpier lui aussi a de la bouteille, il peut faire d’immenses actions à la planche mais là où il est le plus surprenant, c’est dans sa manière de se positionner dans le raset, afin de pouvoir toucher le raseteur à l’arrivée. Cupidon sur sa saison 2018, aussi, a su, à chacune de ses sorties, faire preuve d’un excellent coup d’œil, s’ajustant toujours de manière à engager le raset le plus possible à son avantage.

Mais tous ces détails techniques ne sont pas visibles à tous. À l’heure où il est temps de démontrer les valeurs inhérentes à la course camarguaise à un plus large public, plus jeune, et pour défendre notre identité et notre passion, il doit être aussi temps de trancher sur le sens que l’on veut donner à cette compétition et sur ce que nous voulons voir durant la saison. Il ne semble pas légitime de continuer à dire à l’élite du Trophée des As que ce ne sont que les points des attributs qui comptent, car ce sont uniquement les taureaux dominateurs qui s’en sortiront, et nous seront contraints, pour maintenir des taureaux comme Landié, de ne pas les faire courir en compétition tout simplement parce qu’ils ne sont pas faits pour cette forme de compétition, et ce n’est pas ce que nous leur demandons. D’autre part, ces taureaux demandent aussi aux raseteurs de se mettre en danger pour révéler leurs capacités.

À l’inverse, la compétition demande d’être le moins en danger possible, une contradiction qui se paye très cher parfois sur le rendu des courses estivales. Pour ne parler que du Trophée des As et de son titre suprême, l’incohérence saute aux yeux. À la décharge de la manade Laurent et de la manade Nicollin, ne vous y trompez pas, Jupiter et Landié sont extrêmement bien gérés. Leurs propriétaires ont compris leur potentiel et ils savent bien comment les mettre en valeur. Mais cette gestion suscite parfois l’incompréhension car comment peut-on attribuer un prix en ne concourant pas pour la compétition ? Pourpier, Optimus ou Cupidon représentent tout ce qu’un cocardier doit avoir.

Comme leurs prédécesseurs historiques, ces taureaux sont le fruit de ce que nous voulons pour maintenir la compétition comme nous l’avons toujours connue et cette sélection doit être récompensée. Mais le fait de ne pas le réaliser va avoir une conséquence directe, celle de les faire disparaître de la sélection des élevages à petit feu, car trop difficile à comprendre, pas assez expressif parfois, ou trop calculateur. Puis surtout, la question se pose de cette manière : comment peut-on faire comprendre les atouts de ces taureaux à un public moins connaisseur et plus disposé à saisir les comportements de Landié ou de Jupiter ? Doit-on rendre la course camarguaise plus accessible et plus compréhensible ? Il n’en fait aucun doute, mais à quel prix et avec quels moyens ?

Doit-on totalement basculer vers des taureaux uniquement généreux ? Dans ce cas, nous perdrions aussi la compétence d’un raseteur à résoudre les problèmes de ces taureaux qui demandent de la technique. Dans ce virage que nous peinons à prendre, il est temps de ne plus tergiverser sur ce que nous souhaitons.

Et la seule réponse à toutes ces questions viendra de l’ouverture vers les autres, en communicant plus encore. En partageant le savoir de chacun des professionnels et en la rendant accessible. Puis, adaptons-nous aux nouveaux formats et canaux de communication. Car nous avons un territoire exceptionnel, une passion magnifique et un spectacle magique ! Il est temps de ne plus le conserver jalousement, mais bien d’en faire profiter au plus grand nombre.