L’histoire du Sanglier.
Si de tous les taureaux légendaires que la Camargue a enfanté, il en est un dont le mythe paraitrait presque irréel. Que lève le doigt l’enfant de Camargue n’ayant jamais demandé à son grand-père « Dit papé tu l’as connu le Sanglier toi ? »
Nous sommes en 14-18. En pleine période de guerre, au cœur du Bois des Rièges, îlot sauvage enveloppé par le mystère, une atmosphère de légende, comme génitrice de contes bordants l’imaginaire gardian que cette nature hostile s’attache tant à préserver. C’est ici, dans la mysticité du lieu, que la vache « La Caillette », de Fernand Granon va mettre bas. Ici né « Le Sanglier » qui a pour père le célèbre Belcita grand cocardier de l’avant-guerre.
Veau solitaire, espiègle et courageux, « Le Sanglier » s’en va sans cesse arpenter les quatre coins des sous-bois. Les gardians de l’époque, apparentent ce comportement à celui du mâle de la laie, familièrement appelé cochon des bois. Ils l’appelèrent ainsi Sanglier parce qu’il vivait seul, comme font ces animaux.
A trois ans, il effectue sa première sortie dans le plan d’Aigues-Vives. Quelques jours plus tard il bouscule sérieusement le raseteur Coulet dans les arènes de Lansargues puis fut mémorable à Lunel peu après.
Il entamera dès lors une carrière de taureau-dieu.
Durant une dizaine d’années, le cocardier de la famille Granon va faire régner la terreur dans toutes les pistes du coin. Cocardier complexe, barricadier explosif, une véritable bombe atomique.
Il fallait être audacieux, malin et calculateur pour pouvoir l’approcher. Parfois à plusieurs pour tenter de le couilloner. Car « Le Sanglier » ne pardonnait pas la moindre erreur.
Sa corne gauche émoussée, le rendait particulièrement beau et craint à la fois. Ses bannes abimées étaient le reflet de ses luttes endiablées avec les barricades. Un taureau, un étalon, qui, s’il engendrait la peur, créait aussi le délire sur les étagères et enthousiasmait les foules.
L’engouement était tel, qu’un jour, lorsqu’il courait à Nîmes, le train bondé, parti du Grau du Roi calait dans la montée de Generac.
Le Sanglier était tellement redouté et redoutable, que les primes allaient de 500 à 1000 francs pour seulement toucher la tête du fauve et déclencher l’ovation d’un public en liesse.
De l’ovation à la stupeur même lorsqu’en 1925 dans les arènes d’Aramon, le portier de service du nom de Pierre Vite fut tué de deux coups de cornes par le terrible biou de Fernand Granon.
Ardent. Terrifiant. Endiablé. Tous les qualificatifs pleuvaient sur Le Sanglier.
Entre 1925 et 1929 ce ne sont pas moins de 120000 francs de primes que Le Sanglier porta sur ces cornes criminelles. Un exploit retentissant que celui de lui lever un attribut.
Mais la gloire possède aussi ses limites. En 1927, les provençaux, jaloux et besogneux envers le succès du cocardier de Monsieur Fernand, et pensant la réputation usurpée, lui tende un piège. Ce ne seront pas moins de trente tenues blanches en piste, lâchées comme une meute de chien enragée pour tenter de désarçonner le diabolique barricadier. Les portiers se refusent à ouvrir les portes. Le Sanglier reste plus de vingt-cinq minutes en piste. Il rentre sa cocarde. Echec et mat. Le manadier de la devise rouge et verte est ferme et définitif : il me conduira plus un seul taureau en Arles.
Le 31 aout 1930, Le Sanglier fait ses adieux à Nîmes devant plus de 12000 personnes.
Le Sanglier réalise sa dernière course le samedi 3 octobre 1931, dans les arènes d’Aigues-Vives. La municipalité a décidé d’honorer Gaston Doumergue, enfant du pays et Président de la République de 1924 jusqu’à mai 1931, avec une course complète de la manade du Cailar.
Le légendaire biou s’en va alors rejoindre ses verts pâturages cailaren afin d’observer une retraite paisible et méritée.
Bousculé par le simbeu dont il s’était fait la compagnie, Le Sanglier meurt prés de son abreuvoir le 22 octobre 1933, sans avoir eu de descendance.
Le taureau-dieu sera inhumé dans deux draps de lit neufs, sous une stèle au croisement de la route du Cailar et de Vauvert.